Sociologie et classe inversée : une expérience pédagogique

Steeve Gagné
Enseignant au département de sociologie
Cégep de Chicoutimi

Au début de la session d’automne 2019, on m’avait proposé un projet de stratégie pédagogique en classe inversée. Au premier abord, je pensais que le concept était que les rôles dans la classe étaient renversés ; les étudiants donnaient le cours et ma tâche était de les écouter. Après certaines discussions et formations, je me suis rendu compte que ma conception de cette stratégie pédagogique était erronée. En fait, le rôle de l’enseignant est toujours le même, mais l’ordre des activités est inversé.  Bref, j’ai participé au projet et dans les lignes qui suivent, je ferai une réflexion interne (en lien avec l’élaboration de la classe) et externe (impacts sur les étudiants) dans le but de faire part de mon expérience à ceux qui voudront utiliser cet outil pédagogique afin de le faire en connaissance de causes.

En sociologie, l’une des plus grandes difficultés est que les notions sont abstraites. Culture, socialisation, normes et valeurs sont des concepts très importants, au point de guider et d’influencer un individu dans ses décisions et ses actions tout au long de son parcours. Cependant, ces éléments ne sont pas concrets : on ne peut pas les toucher ni les voir, sauf en donnant des exemples en lien avec la société à partir de textes ou de vidéos. Ce problème se transpose également dans le cadre de la classe inversée : quelle matière traiter à l’aide d’un support visuel? Comment rendre cette matière assez tangible pour la traduire en vidéo? Est-ce que l’étudiant comprendra le sujet traité? La partie de matière que j’ai finalement choisie traitait de la violence conjugale et de la maltraitance d’enfants. Ce sujet me semblait à propos pour cette méthode pédagogique en plus d’être un sujet d’actualité connu, qui touche et intéresse les étudiants. Tout cela me permettait de croire que l’activité pourrait s’avérer intéressante.

Graphique - Évolution du taux global de criminalité par 100000 habitants - 2006 à 2015
Une capture d’écran de la vidéo technopédagogique de Steeve Gagné
(Crédit / Courtesy Cégep Limoilou)

Avant de commencer une classe inversée, voici mon conseil en un mot : préparation. Il faut prévoir la matière (choisir les concepts, les concrétiser en support visuel), travailler le support visuel (maîtriser les outils informatiques nécessaires, élaborer le support visuel et le transmettre), avertir les étudiants (consignes avant la classe inversée)  et finalement, organiser le retour après le cours (prévoir une période de question et de retour sur la matière, élaborer et corriger l’évaluation sur la matière). Étant très novice dans le domaine, j’ai été surpris par le temps que tout cela exigeait, en plus des autres livrables d’une session normale. Je considère par contre que puisque maintenant que je l’ai déjà fait, les prochaines fois seront moins énergivores (il y en aura certainement d’autres!).

Pour donner suite au projet, en critique externe, j’ai fait évaluer ce dernier pour mesurer l’appréciation des apprenants et l’impact sur ceux-ci. Somme toute, l’activité de classe inversée à été plutôt bien reçue. Les étudiants ont aimé pouvoir visionner plusieurs fois la vidéo, ce qui facilitait la prise de notes au moment voulu. Je me suis aperçu que les critiques et les problèmes rencontrés sont plutôt relatifs à la vie des étudiants à l’extérieur des cours. La très grande majorité de ceux-ci travaille les soirs et les fins de semaines et la méthode utilisée semblait leur prendre plus de temps à la maison.

Aussi, la classe inversée exige une certaine autonomie ainsi qu’une responsabilisation. L’utilisation de cet outil pourrait être problématique avec des étudiants de première année au collégial où le choc du passage secondaire-cégep et le fait d’être plus laissés à eux-mêmes en affectent plus d’un. Mon projet était adressé à des étudiants de technique en troisième année donc j’ai eu très peu de problème à ce sujet.

En lien avec ce qui vient d’être mentionné, après une classe inversée, une activité devrait être prévue lors du retour en vue de répondre aux interrogations survenues à la maison. Par contre, il n’est pas faux de penser que les étudiants auront peut-être de la difficulté à poser leurs questions. Timidité, dynamique de groupe, pression sociale et autres créent plus souvent qu’autrement des silences en classe. Une activité ou une évaluation formative devient alors très pertinente. Encore une fois, sur ce point, mon expérience a été plutôt positive avec mon groupe d’essai étant donné la présence d’une belle dynamique de classe où les étudiants se connaissent depuis trois ans et ont une grande facilité à communiquer en groupe.

Pour conclure, la classe inversée est un bel outil qui permet de transformer certains cours en pédagogie active. Cependant, avant de se lancer dans celle-ci il est intéressant de se poser les questions suivantes : est-ce le bon étudiant (autonome, responsable), la bonne matière (qui peut être élaborée en classe inversée), le bon soutien (accessible, convivial pour l’étudiant et l’enseignant), le bon moment (temps de planification) et le bon motif (l’utilisation de la classe inversée la pertinence et la valeur ajoutée au cours)[1].


[1] Inspiré de « 5 bons dans l’administration des médicaments » utilisé en soins infirmiers

Expérience de la classe inversée dans le cadre du programme d’intégration à la profession infirmière (CWA.0B)

Julie Racine
Enseignante en soins infirmiers
Cégep Limoilou

Le travail hors classe

Le sujet « Comment répondre à des questions d’examen en soins infirmiers » a été abordé à deux reprises en classe et les deux fois, la classe inversée a été mise de l’avant. J’ai présenté le premier cours à un groupe d’une trentaine d’étudiants et le deuxième, à une vingtaine d’étudiants. Dans les deux groupes, seulement 1 ou 2 personnes n’ont pas visionné les capsules avant le cours en présentiel. J’ai remarqué que ces personnes avaient plus de difficulté à répondre aux questions, car elles n’avaient pas de méthode structurée pour bien analyser les situations cliniques et les questions. Les autres étudiants ont visionné les capsules environ 3 jours avant le cours en présentiel. Certains étudiants me parlaient des capsules dans les autres cours, car ils remarquaient qu’ils pouvaient appliquer ces principes lorsque je posais des questions en classe.

Les exercices pratiques en classe

Lors des cours en présentiel, les étudiants ont pu s’exercer à répondre à des questions d’examen pendant 2 heures. J’ai pu les encadrer et leur expliquer la raison de leurs mauvaises réponses. Ils étaient très motivés, car le cours a eu lieu avant leurs examens sommatifs. Pour eux, ce cours était une excellente préparation et ils ont apprécié avoir accès aux capsules en tout temps. J’ai utilisé un livre obligatoire pour la pratique en classe : le guide préparatoire à l’examen professionnel.

Ce projet fut un grand succès auprès de notre clientèle. Les étudiants ont bien aimé l’expérience et ils désirent avoir encore plus de capsules sur ce sujet ou d’autres sujets pertinents. Ils aimeraient avoir des capsules sur la façon d’étudier et de gérer leur stress avant un examen.

Dans le futur, il serait bien de mettre des exercices pratiques au travers des capsules afin que les étudiants puissent valider leur compréhension au moment du visionnement à la maison.

Mon expérience, en bref

Je pense que la pédagogie inversée a sa place pour certains cours dans le cadre du programme d’intégration à la profession infirmière (CWA.0B). Il serait difficile de l’utiliser pour tous les cours, car les étudiants ont des classes cinq jours par semaine sur des sujets différents. Intégrer la pédagogie inversée pour certains sujets afin d’avoir plus de temps de pratique en classe serait une bonne idée. Par exemple, si les étudiants voyaient la théorie des laboratoires pratiques avant les cours, nous aurions plus de temps en classe pour manipuler le matériel en soins infirmiers. De plus, les étudiants pourraient visionner ces capsules avant les stages en milieux cliniques.

Finalement, je tiens à remercier les personnes qui ont permis à ce projet de voir le jour.

–Julie Racine enseignante en soins infirmiers et passionnée de son travail 

Pédagogie inversée dans le cadre du programme d’intégration à la profession infirmière (CWA.OB)

Julie Racine
Enseignante en soins infirmiers
Cégep Limoilou

Le contexte

À la formation continue du cégep Limoilou, nous avons la chance d’avoir un programme qui permet aux infirmières et infirmiers diplômés hors du Canada d’acquérir les notions nécessaires pour intégrer la profession infirmière au Québec.

Dans le cadre des cours, les enseignants utilisent des méthodes pédagogiques variées afin de combler les besoins de tous les types d’apprenants.

En septembre 2019, nous avons eu une subvention pour un projet d’innovation afin d’expérimenter la pédagogie inversée dans le cadre d’un cours dans le programme d’intégration à la profession infirmière.

Puisque je suis une enseignante qui connait bien le programme et la clientèle, le projet m’a été confié par la coordonnatrice de la formation continue.

Le projet

Parmi les nombreux sujets qui sont enseignés dans le programme d’intégration à la profession infirmière, j’ai choisi d’intégrer la pédagogie inversée dans le cours de Médecine-Chirurgie I (180-F93 VM) sur le sujet suivant : comment répondre à des questions d’examen en soins infirmiers. Il s’agit d’une séance de cours d’une durée de 2 heures, habituellement donnée en présentiel.

Image d'une jeune infirmière - extrait de la page titre d'un cours en soins infirmiers
Une capture d’écran de la page titre du module technopédagogique – Crédit/Courtesy : Cégep Limoilou

J’ai décidé d’intégrer la pédagogie inversée sur le sujet comment répondre à des questions d’examen en soins infirmiers afin d’aider les étudiants dans leur démarche et leur réflexion lors des évaluations sommatives.  De plus, j’avais aussi en tête d’aider les étudiants à se préparer aux formats des questions présentées dans l’examen professionnel (obligatoire pour être en mesure de pratiquer la profession infirmière au Québec à la fin du parcours scolaire).

J’ai fait une réflexion approfondie sur la façon de présenter les capsules en prenant en considération les principales difficultés observées chez les étudiants lors des évaluations sommatives. J’ai remarqué que les étudiants avaient besoin d’aide dans la compréhension des termes, dans l’analyse des situations cliniques et dans la compréhension des questions.

J’ai regroupé l’information disponible sur ces sujets et j’ai divisé la matière en six capsules. Voici les sujets des capsules :

  1. Comprendre les définitions des différents termes dans un examen en soins infirmiers.
  2. Comprendre les composantes de l’examen professionnel.
  3. Être capable de repérer l’information significative dans une vignette et de l’analyser.
  4. Être capable de mettre en pratique le cycle du raisonnement clinique.
  5. Être capable de décortiquer la question, de repérer les mots clés et de déterminer la cible de la question.
  6. Être capable d’analyser les choix d’une question à choix de réponse.

Pour la méthode pédagogique, j’ai décidé d’utiliser des PowerPoint narrés avec des images et des exemples concrets. Les capsules ont été assemblées dans Storyline, une application qui se retrouve dans Articulate 360.

J’ai pu compter sur un excellent support pour la création de ces capsules. Premièrement, j’ai eu l’aide d’une conseillère en technopédagogie Julie McCann qui m’a supportée dans le choix du sujet et m’a aussi guidée pour la création des capsules. Par la suite, j’ai obtenu l’aide d’un technicien en multimédia Mathieu Brisson qui a monté, assemblé, et diffusé mes capsules sur internet.

Ce projet fut très stimulant et motivant. Julie Racine enseignant en soins infirmiers à la formation continue et passionnée de son travail 

Préparez votre première classe inversée : Vous êtes meilleur que vous ne le croyez!

Daniel Normand
Enseignant du cours Analyse foncière
Cégep Limoilou

La classe inversée c’est quand les étudiants apprennent à la maison et font leurs devoirs en classe avec le prof. Voilà, c’est dit. Tu es un nouveau professeur et tu commences à être gêné de lever la main en comité de programme pour poser une question niaiseuse comme « C’est quoi la classe inversée? » Cet article est pour toi. Tu fais un doctorat sur les différentes approches pédagogiques? Ne perds pas ton temps à lire ça. Laisse-moi plutôt tes coordonnées afin que j’en apprenne plus. Je suis un débutant et j’ai expérimenté quelque chose de nouveau et maintenant je veux en parler aux autres nouveaux pour qu’ils en profitent au plus vite!

Par où commencer?

Il faut que tu choisisses quelles séances de cours tu veux inverser. Pour moi, ça a été facile. Dans un de mes cours (Analyse foncière), il y a deux séances qui sont ennuyantes pour mourir, car on doit présenter et comprendre assimiler plusieurs articles de lois. La pondération de mon cours est 2-3-2. Si je passe deux fois 2 heures à lire les articles de lois ensemble, j’observe deux choses : je perds l’attention des étudiants après dix minutes et, par conséquent, ils sont incapables de faire les 2 heures de devoirs prévus à la maison. La solution? Inverser la classe. C’est leur fournir du matériel didactique interactif et dynamique pour qu’ils sa familiarisent avec les articles de lois à la maison et profiter des 2 heures de classe ensemble pour échanger et tester nos connaissances avec des exercices. Quelle satisfaction de les voir travailler et de constater qu’ils auront quelque chose à dire à l’examen!

La classe inversée, c’est quoi en 2019?

Je pense qu’il faut éviter le papier ou l’utiliser le moins possible. Les jeunes aiment la technologie. Donnons-leur de la technologie. Si tu veux avoir de l’inspiration, je te conseille d’aller sur le site Profweb. Il existe plusieurs articles récents qui traitent de la classe inversée et ils proposent une panoplie d’outils technologiques te permettant d’arriver à tes fins. C’est d’ailleurs leur mission : « faire la promotion de ressources numériques en lien avec l’enseignement et l’apprentissage au collégial, et au partage de pratiques pédagogiques inspirantes ».

Créer une classe inversée avec ou sans libération?

Pour ma part, j’ai participé au Projet d’innovation lié aux Technologies numériques/classe inversée chapeauté par Cégep à distance. J’ai donc eu la chance de créer mes deux premières séances de classe inversées avec une équipe constituée de Julie McCann (Conseillère en technopédagogie) et de Mathieu Brisson (Technicien en multimédia). C’est un peu comme avoir 17 ans et recevoir une BMW de l’année comme première voiture. Oui, j’ai été chanceux. Cela dit, il n’est pas essentiel d’avoir une équipe ou une libération pour expérimenter. Il suffit d’avoir une bonne idée et de savoir à qui demander de l’aide. Aujourd’hui, toutes les ressources sont là et sont souvent méconnues, surtout de la part des nouveaux professeurs. Mais puisqu’on en parle, il existe aussi des budgets pour toutes sortes de projets pédagogiques dont tu pourrais profiter. Informe-toi aussi sur ça!

Comment on a procédé?

On est partis de ce que j’appelle « mes PowerPoint plates » : 78 diapositives en tout. De là, on a subdivisé la matière en 10 modules, soit 5 pour chaque séance de 2 heures. Ma mission était de faire des capsules audio d’environs trois minutes. Mathieu convertissait mes capsules audio en vidéo et Julie, qui maîtrise aussi les concepts de lois et la matière à l’étude, aidait Mathieu à choisir le visuel approprié de façon à imager mes propos. Ils ont choisi ensemble les médias à utiliser. Les capsules animées ont été réalisées avec le logiciel Moovly et les cours en ligne ont été diffusés à l’aide du module Rise 360 de la plateforme Articulate. Pour ma part, j’ai réalisé mes capsules audios avec Audacity. Le logiciel est d’une simplicité incroyable et est gratuit, contrairement aux deux autres où il a fallu payer un abonnement.

Capture d'écran du module technopédagogique du cours Analyse Foncière
Capture d’écran du module technopédagogique du cours Analyse Foncière
(Crédit/Courtesy : Cégep Limoilou)

Nous avons créé cette première séance pour la semaine 6 et cette deuxième séance pour la semaine 7.

Je commente le contenu de ces séances dans mon article sur l’expérience de mes premières classes inversées.

Faites comme Roosevelt

Do what you can, with what you have, where you are.” Le manque de temps est une contrainte qui nous affecte tous, la technologie est en constante évolution et personne n’a les mêmes habiletés avec les outils informatiques. Cela dit, nul besoin de chercher la perfection la première fois. L’idée c’est de faire ta première. Commence avec les outils disponibles que tu maîtrises déjà. Les améliorations s’ajouteront avec le temps. Moi par exemple, j’ai commencé à enregistrer mes capsules avec l’enregistreur vocal de Windows 10. Il m’a fallu reprendre mon texte une vingtaine de fois pour faire une « capsule parfaite » de 1 minute 57 secondes sans bafouiller, sans tousser, sans renifler, sans entendre mon téléphone sonner, etc. C’est cette difficulté qui m’a poussée à m’informer sur les logiciels d’édition. Puis, en travaillant par la suite avec le logiciel Audacity, j’ai appris progressivement à couper des passages, puis à effacer le bruit de mon échangeur d’air en bruit de fond, puis à égaliser ma voix pour qu’elle sonne mieux et il y a encore du travail à faire, mais ça évolue tout le temps! Alors, avance un pas à la fois toi aussi, célèbre tes petites victoires et ta classe inversée sera prête cette session-ci, ou l’autre d’après … mais tu y arriveras! Le plus dur pour moi ç’a été de décider quoi dire. La pérennité des capsules et leur caractère public te forcent à réévaluer constamment le contenu de ton cours et à vérifier la véracité des propos énoncés. Car contrairement à un exposé magistral, la capsule peut être écoutée à plusieurs reprises!

Enfin, si tu veux prendre un petit raccourci, utilise les conseils des professeurs expérimentés qui inversent leurs classes depuis longtemps et recueil les commentaires des élèves. Tu auras déjà une bonne idée de ce qui marche bien. Bonne chance!